Daniel Shaw [U.C]

Depuis la veille, Jasper était préoccupé. Impossible de se concentrer, impossible de penser à autre chose. Déjà plusieurs dizaines d'heures s'étaient écoulées depuis son entretien avec le directeur de l'institut, et pourtant, il n'arrivait pas à sortir toute cette histoire de son esprit. Depuis des mois, il servait en sorte d'espion à l'institut, en infiltration chez le front anti-mutant. Son pouvoir de transformation lui permettant plus facilement de s'introduire dans n'importe quel réseau grâce à son changement d'apparence, les portes du front anti-mutant lui avait donc été facilement ouvertes. Encore fallait-il simuler le dégout pour les mutants, mais c'était une chose qu'il feignait facilement puisque dès son adolescence, il avait fait partie d'une troupe de théâtre: Son jeu d'acteur était donc non négligeable et grâce à l'absence de sentiments qu'il montrait en public, il arrivait facilement à atteindre son but. Il aimait ce petit boulot, c'était à la fois grisant de tromper tous ces gens, mais aussi gratifiant pour son égo de savoir qu'il était utile à l'école. C'était donc tout normalement qu'il avait accepté ce boulot quand Paul Welson le lui avait proposé. Et pourtant, depuis qu'il faisait ce boulot d'espion, rien de vraiment flagrant ou choquant s'était passé : Seulement une haine contre les mutants, et des projets de petites attaques de la part du front, sans grande envergure, et même très facilement démontés.

Mais la veille, Paul Welson lui avait annoncé quelque chose qui avait complètement déstabilisé Jasper. Un mutant avait commis un meurtre sur un humain, un meurtre atroce, qui lui retournait l'estomac rien qu'à y penser. Evidemment, il ne s'était jamais idéalisé les mutants, il n'y avait aucune raison qu'il n'y ai pas de "méchants" chez les mutants, mais pourtant, cette perspective ne trouvait chez lui aucune réponse. Pourquoi? Et depuis qu'il avait quitté le bureau du directeur, pleins de questions tournaient dans son esprit, sans cesse, et en vain. Préoccupé par cette affaire et comment il devrait affronter le front sans avoir l'air d'en savoir trop, il n'avait pas réussi à se concentrer sur quoi que ce soit, et il s'estima heureux d'être en week-end car il se serait fait remonter les bretelles au boulot. Mais même chez lui, il n'avait ni la tête à discuter, avec ses colocataires, ou plus précisément avec Abby, ni même l'esprit à faire quoi que ce soit de ce qu'il aime. La chose qui l'embêtait le plus était d'ailleurs certainement le fait qu'il n'arrivait même plus à se concentrer dans un bouquin. Impossible de se concentrer, de se plonger dans quelque chose, les mêmes questions, les mêmes réflexions se faisaient toujours plus bruyantes et imposantes dans son esprit, comme si il était condamné à ne penser plus qu'à ça le reste de sa journée.

Enfermé chez lui, il avait finalement eu marre de ne faire que tourner en rond sans pouvoir vraiment s'aérer la tête et il avait décidé de faire un tour en ville, dans un des quartiers les plus populaires de la ville, où se déroulait en ce moment même une fête foraine: Il en avait entendu parler par les gens autour de lui, et même avait vu une affiche sur le panneau d'affichage dans la librairie, et quoi de mieux pour se changer les idées qu'un peu de bruit, une foule, des attractions, et pourquoi pas quelques filles à repérer? Décidé à se changer les idées il se dirigea donc vers la fête foraine en voiture, puis à grandes foulées après avoir garé son engin dans les alentours proches. Son habituel appareil photo accroché autour de son cou et qui pendait vers le bas de son t-shirt, découvert par le fait qu'il ai sa veste ouverte, il approcha en respirant agréablement les odeurs de friandises et de gaufres qui se répandait déjà dans l'air alors qu'il était encore à plusieurs mètres de l'entrée de la fête. Puisqu'il n'arrivait pas à se concentrer, rien de mieux qu'essayer de prendre des clichés de tout et de rien, en plus la lumière du jour déclinait nettement et les couleurs du ciel étaient étonnamment belles et agréables à regarder. Un peu plus calme, Jasper soupira de satisfaction et chercha à tâtons dans ses poches pour trouver son paquet de cigarette. Peine perdue, il se rendit compte en jurant qu'il avait oublié son paquet dans la voiture. Il ne réussit en effet qu'à mettre la main sur son briquet, mais évidemment, un briquet sans cigarettes, c'est légèrement embêtant.

Se maudissant intérieurement d'un tel oubli, il fit une moue synonyme de son désarroi. Il continua pourtant son chemin: Tant pis, il demanderait à quelqu'un, ou alors il resterait sans nicotine jusqu'à son retour dans sa voiture. D'un pas décidé il rentra dans la fête et son regard glissa sur un petit muret pas très loin, duquel on avait une bonne vue. Décidant de s'y installer pour pouvoir prendre des clichés, il s'y dirigea à grandes enjambées et évita soigneusement de rentrer dans plusieurs personnes. Il ne put éviter pourtant un homme légèrement plus âgé que lui, qui lui parla et le salua. Il le connaissait, il faisait partie du front anti-mutant et il faisait partie de ceux qui avait le plus de haine envers le camp dont faisait partie Jasper. Ne montrant aucunement son aversion à voir le bras droit du président du front, il se contenta de lui sourire ironiquement comme à son habitude - mais apparemment cela ne dérangeait aucuns membres du front - et échappa de justesse à la longue discussion. Celui là ne devait pas encore être au courant du meurtre, et Jasper remercia le ciel pour ça, il n'aurait pas à subir une longue discussion animée. « On se voit lundi soir! » lança l'humain. Jasper acquiesça imperceptiblement de la tête et lui adressa un sourire un peu mielleux pour s'en débarasser plus rapidement. Salaud, pensa-t-il en gagnant le muret blanc sur lequel il s'appuya, faisant volte-face pour regarder la foule et les attractions.

Maintenant qu'il avait rencontré ce membre du front anti-mutant, les pensées auxquelles il essayait d'échapper étaient revenues à la charge et son manque de nicotine pour se calmer se fit ressentir plus violemment. Heureusement pour lui, il aperçut à quelques mètres de lui, un jeune homme, qui devait bien avoir au moins 5 ans de moins que lui, une planche sous le bras et qui avait un certain style qui attira le regard de Jasper. Sans crier gare il brandit son appareil, prit soin de le régler sans flash et prit un cliché du jeune homme pendant qu'il regardait ailleurs, qui, une fois qu'il le regarda quelques secondes après sur l'écran de l'appareil, semblait plutôt satisfaisante. Le sourire de Jasper revint flotter sur ses lèvres, content d'avoir finalement réussi à faire quelque chose de satisfaisant, et il reporta son regard sur le jeune brun. Il remarqua enfin qu'il avait une cigarette à la bouche et il faillit soupirer de soulagement. Avec de la chance, il voudrait bien lui donner une cigarette, ou même une bouffée de sa cigarette. Quand ce dernier passa devant lui, Jasper se redressa nettement, se remettant debout et dominant largement le jeune homme de sa taille.

- Excuse-moi... le héla-t-il. Tu aurais une cigarette pour moi?